“Peut-on exporter la démocratie ?”

Mai 27, 2015

Six minutes (chrono !!!) pour répondre à la question : « Peut-on exporter la démocratie ? »

« Pour tenter de répondre à la question je souhaitais partager avec vous quelques leçons tirées d’expériences de terrain avec les Nations Unies et avec l’Otan à l’aune des opérations en Afghanistan et en Libye, puis sous l’égide de l’OSCE au cours de missions d’observation électorale dans des pays de l’ex-URSS.

Deux premiers commentaires au préalable.

Il y a tout d’abord une approche que j’appellerais idéale voire “idéaliste”, qui correspond aux valeurs universelles parfois qualifiées de « valeurs occidentales ». C’est l’idée de promouvoir les libertés individuelles et les droits de l’homme ; de souhaiter que tout être humain puisse vivre selon ses choix dans un environnement stable sans conflit, et enfin de librement choisir celles ou ceux qui placés à la tête d’un Etat reconnu par la communauté internationale lui garantiront la sécurité et les conditions d’un épanouissement durable.

Mais l’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ?

Car il y a la « realpolitik » où les priorités sont dictées par des impératifs directement liés à la protection ou la promotion des intérêts nationaux, politiques, économiques ou financiers. Alors on exporte la démocratie quand c’est possible ou quand cela nous arrange, ou encore quand c’est possible et que cela nous arrange. Où encore quand on y est poussé à le faire, sous la pression d’une opinion publique informée et sensibilisée, voire manipulée, qui ne comprendrait pas que l’on reste sans agir alors que d’autres souffrent.

Ce qui possible avec un Etat failli devient plus compliqué lorsqu’il s’agit d’un puissance régionale, nucléaire de surcroît. Et puis il est bien difficile de promouvoir la démocratie avec des régimes autocratiques qui sont aussi des marchés potentiels ou des clients choyés.

Quand on m’a proposé d’aborder cette question, j’ai immédiatement pensé à la conférence de Berlin en 1884. Présidée par le Chancelier Bismarck, elle réunissait les ambassadeurs de l’Europe et du Nouveau Monde et avait pour but de “s’intéresser” au continent africain, immense territoire  inconnu et lointain.

Le message était clair ; il s’agissait de promouvoir les valeurs occidentales, en un mot d’importer sur ce continent dit obscur la « civilisation ».

L’idée était de faire le Bien.

Mais la vraie raison était surtout de définir les règles de commerce international sur le bassin du Congo et d’obtenir un accord entre les parties en présence pour déterminer ce que seront plus tard les frontières de leurs empires coloniaux. Promouvoir la démocratie certes mais jamais ou rarement sans arrière-pensée.

Les chose ont-elles réellement changé aujourd’hui ? Je ne le pense pas…..

Alors la question est délicate car la démocratie n’est pas un produit que l’on exporte. Le “copier / coller” ne fonctionne pas ; c’est un processus qui exige du temps, de la maturation et qui se façonne au fil des évènements et des circonstances. C’est un processus qui ne peut évoluer qu’à certaines conditions.

Un environnement sécuritaire durable doit être établi, garanti. Le cadre constitutionnel doit permettre à une société civile éveillée, éduquée, de s’approprier un processus d’évolution si, et uniquement si, celui-ci correspond à ses aspirations, à sa volonté, tient compte de sa culture, de son histoire et de ses valeurs.  La résistance au changement peut être forte tout simplement par ce que le changement n’est pas désiré.

Je vous invite à relire ce qu’écrivait Winston Churchill à l’âge de 22 ans lorsqu’il décrivait pour le Daily Telegraph la situation dans les zones tribales d’Afghanistan et du Pakistan durant la seconde guerre anglo-afghane à la fin du 19ème siècle. Rien depuis n’a fondamentalement changé…..

J’ai observé les élections parlementaires dans deux républiques de l’ex-URSS. J’y ai vu des différences significatives. Dans un des deux pays, la population était motivée, enthousiaste, volontaire et souhaitait à travers un bulletin de vote exprimer son envie de voir les choses bouger. Dans un autre pays j’ai croisé une population soumise, apathique qui ne croyait pas à la puissance du vote et ne se faisait aucune illusion sur l’issue du scrutin.

Alors que faire dès lors que toute imposition de l’extérieur peut être perçue comme une ingérence insupportable, contre productive conduisant au repli sur soi et au rejet systématique.

Il y a selon moi des fondamentaux et surtout beaucoup, mais vraiment beaucoup d’humilité.

Connaissance et compréhension des sociétés : s’intéresser à la promotion de la démocratie et de l’Etat de droit en Afghanistan ne peut s’imaginer sans y avoir vécu, croiser des regards, écouter, sentir le pays, sa géographie, la mosaïque de ses cultures, tenter de comprendre les mécanismes qui régissent la vie d’une société tribale aux modes de fonctionnement différents parfois féodaux.

Le changement de paradigme est essentiel.

Ne plus être dans la situation de celui qui offre ou qui propose (voire impose) mais de celui qui répond à un besoin, issu de la demande d’une société qui manifeste l’envie qu’on l’aide à évoluer, à son rythme dans la direction qu’elle a choisie.

Le dialogue est indispensable et la pédagogie doit être soignée : être capable d’expliquer sans donner de leçons, écouter, observer,  comprendre les différences et de dissiper les malentendus.

Plus facile à dire qu’à faire dans un monde médiatisé où tout se voit tout se sait  générant en permanence chez les uns de la frustration, les changements n’allant pas assez vite,  chez les autres de l’incompréhension face à l’incapacité de venir en aide à des populations en difficulté.

Donner du temps au temps, simple mais si difficile à expliquer à un jeune de 20 ans sans avenir qui, au fond des ruines d’Alep en Syrie, sait qu’ailleurs il y a la vie.

Dans une démocratie comme la nôtre souvent décrite comme un modèle il aura fallu attendre 1945 pour que les femmes et les militaires aient le droit de vote.

Merci »

Top chrono !!

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