Garde Nationale, Service civique, Réservistes….

Nov 24, 2015

Lettre ouverte d’un appelé du contingent devenu officier général.

Cette lettre est adressée aux femmes et hommes politiques de tout bord. Elle n’exprime ni regret, ni amertume ; elle est, avant tout, le témoignage d’un homme qui a servi son pays pendant quarante années au sein de l’institution militaire, du grade de militaire du rang à celui de général de brigade aérienne.

Appelé du contingent au début des années 1970, à une période où Santana enflammait Woodstock, où les pantalons à pattes d’éléphant et les chemises à fleur constituaient la norme, j’ai pu mesurer pendant une année la « douceur de vivre » en dortoir de douze, sous la coupe d’un sous-officier de semaine qui nous “éveillait” aux charmes de la vie en collectivité.

De mes camarades de chambrée, je garde le souvenir de types formidables venant des quatre coins de France avec chacun leur culture, leur accent, leur histoire ou encore leur façon de voir les choses.

Nous échangions beaucoup, apprenant à nous connaître et nous comprendre.

Le jour de la libération, je rendais mon paquetage pour rejoindre une école de sous-officiers d’active. Puis quelques années plus tard, j’accédais à l’épaulette et devenais officier fusilier commando de l’air.

Métier au contact des hommes, j’ai eu l’honneur de commander des unités d’appelés du contingent  dont une, en particulier, située en région parisienne entre 1986 et 1990, l’Escadron des fusiliers commandos de l’air.

Dans cette unité d’une moyenne d’âge de 24 ans, se croisaient pendant dix mois des jeunes venant  de villes de banlieues situées dans les Yvelines, le Val d’Oise et la petite couronne.

Carrefour de cultures, espace de découverte, lieu d’échanges, cadre d’apprentissage de la vie en collectivité, de la notion d’effort, l’escadron que je commandais offrait aux jeunes une opportunité unique, source de compréhension mutuelle et d’intégration.

Tout n’était pas parfait, mais les quelques mois passés à vivre ensemble au service d’une mission exigeant engagement physique, discipline et sens du collectif, permettaient à certains, pour la première fois dans leur vie, de comprendre sur quels principes et valeurs une société comme la nôtre était fondée.

Les cadres jouaient un rôle déterminant dans cette belle aventure mais beaucoup reposait sur la capacité des appelés eux-mêmes à s’entraider et à s’épauler. J’ai toujours eu une grande admiration pour ceux qui ont consacré du temps pour permettre à leurs camarades de grandir, de découvrir un  nouvel environnement et leur donner l’envie de croire en d’autres valeurs que celles véhiculées dans un contexte où l’autorité parentale avait failli et n’avait pas joué son rôle d’éducateur.

Le service militaire obligatoire permettait à certains de quitter l’adolescence pour entrer dans la vie d’adulte. Pour d’autres il contribuait au processus de maturation et les préparait à entrer dans la vie professionnelle avec des valeurs et des clés de lecture de notre société.

Certains pourraient croire ici que je vais regretter la suspension du service militaire obligatoire. La réponse est non car les contraintes opérationnelles l’imposaient. Les retours d’expérience des opérations extérieures montraient qu’une armée professionnelle devenait la meilleure réponse pour faire face aux défis à relever. Dont acte.

Toutefois je pense que l’on n’a pas poussé l’analyse assez loin. Cette décision a eu un impact majeur sur les armées mais surtout sur l‘évolution de la société française.

J’ai été frappé, comme beaucoup, par les tragiques évènements qui ont touché la France. Puis, je me suis posé la question, comme beaucoup : Qu’avions-nous raté pour en arriver là ?

Les attentats contre le journal Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher ont été commis par les frères Kouachy nés en 1980 et 1982 et A. Coulibaly né en 1982. Les attaques perpétrées le 13 novembre sont l’oeuvre de jeunes français n’ayant pas la trentaine. Ils appartiennent aux premières générations qui n’ont pas été concernées par le service militaire obligatoire. Cela aurait-il changé le cours des évènements ? Difficile à dire, mais je ne peux m’empêcher de faire le lien.

A l’heure où des voix s’élèvent pour évoquer la création d’une Garde Nationale, où d’autres souhaitent la mise en place d’un service civique obligatoire, je ne peux que souscrire à ce type d’initiative qui décrit une prise de conscience mais aussi quelque part un constat d’échec.

Mais je souhaiterais ici partager une inquiétude.

Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur de la tâche et sacrifier sur l’autel d’une quelconque idéologie un véritable projet au profit de « mesurettes » destinées à satisfaire un électorat. L’enjeu est considérable.

Aujourd’hui au contact de mes étudiants, je mesure chaque jour la richesse de notre société, de sa jeunesse, pleine d’enthousiasme qui se nourrit de sa diversité et montre une profonde envie de s’ouvrir au monde. Nos politiques ont donc une responsabilité majeure. Je pense que les Français sont prêts à soutenir un effort qui permettrait à une partie de la jeunesse française de se réconcilier avec les principes et les valeurs qui forgent notre société.

Il faut une réelle volonté politique et le courage pour mettre en place les moyens humains et financiers nécessaires. Quel que soit le cadre retenu, certains principes devraient être respectés : l’universalité, le caractère obligatoire, une durée suffisante, un encadrement de qualité. Il y a dans notre société des femmes et des hommes de bonne volonté qui sont prêts à s’engager et contribuer ainsi à la réussite d’une telle entreprise. Nos politiques doivent leur donner l’envie ainsi que les moyens. Le jeu en vaut la chandelle, la société française en ressortira grandie, forte dans son unité et si riche dans sa diversité.

P.DESJARDINS

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