Un service militaire. Pour quoi faire ?

Fév 2, 2017

Résumé de mon intervention hier soir lors de la conférence organisée à l’IRIS par le Cercle de Réflexion « Accès Défense » http://www.acces-defense.com dont le thème était centré sur le service militaire.

« Huit minutes et deux objectifs »

Le premier est celui de vous faire part d’un retour d’expérience sur quarante-trois années passées dans l’institution militaire dont vingt cinq années de conscription vécue en tant qu’appelé du contingent, puis sous-officier et enfin en tant qu’officier et commandant d’unité.

Le second de vous donner mon sentiment sur ce que je ressens aujourd’hui quand des voix s’élèvent pour évoquer la question de réintroduire le service militaire dans notre pays.

Dans les années 70/80 le service militaire pouvait être vécu par certains comme le passage de l’adolescence à la vie d’adulte. Une période où l’on coupait définitivement le cordon ombilical, une période qui s’inscrivait dans un processus de maturation de l’individu, beaucoup de jeunes quittant le domicile familial pour la première fois. Une période qui donnait aussi des clés de lecture et de compréhension d’une société avec ses règles, ses contraintes, une sorte « d’incubateur de réalités » permettant à certains de mieux plonger dans la vie active.

En tant qu’appelé du contingent j’ai mesuré les limites de l’exercice : inadéquation des missions données par rapport au profil de l’individu, perte de temps, iniquité et inégalité devant le service (favoritisme, réforme de complaisance…) J’ai pu en mesurer également l’apport, ce que je décrirai dans un instant.

En tant qu’officier j’ai commandé pendant douze ans des unités d’appelés du contingent en région parisienne, en Alsace et en Provence.

J’ai connu des jeunes, venant des banlieues parisiennes, de campagnes éloignées, de régions différentes, rejoindre ces unités de fusiliers commandos de l’air ; des jeunes à qui on allait proposer des missions opérationnelles de protection, d’intervention, des héliportages et des sauts en parachute pour les volontaires (bien plus nombreux qu’on ne l’imagine) ; à leur arrivée les visages exprimaient des interrogations bien légitimes, des questions voire des appréhensions. A leur départ beaucoup d’entre eux me confiaient qu’ils ne regrettaient pas ce temps donné à leur pays parce qu’ils avaient appris quelque chose sur la vie, sur la société, sur eux-mêmes

Nous avions su leur proposer un projet impliquant où le sentiment d’avoir fait quelque chose d’utile dépassait ce qui pouvait être considéré comme une perte de temps.

Mais nous avions investi dans la qualité d’un encadrement présent, exemplaire, impliqué possédant un sens élevé de la mission et surtout l’envie de montrer la voie.

J’ai acquis l’intime conviction que cette période a représenté un merveilleux outil, non seulement d’intégration mais également de compréhension du fonctionnement d’une société comme la nôtre. Le brassage, au sein d’une même génération, d’individus venant d’horizons différents, avec des repères, des niveaux différents, des attentes, des cultures, des religions différentes, offrait des clés d’acceptation et d’échange mutuels.

Deux processus se complétaient harmonieusement. Une approche que je qualifierais de « top down » où l’encadrement jouait pleinement son rôle : gardien de la méthode et des règles, donnant du sens à la mission. Et puis une autre approche que je qualifierais de transversale où le groupe lui-même générait sa propre dynamique d’auto régulation faisant comprendre à tel ou tel individu que les règles de la collectivité prévalaient et que si l’unité pouvait être une force, la diversité une richesse, le vivre ensemble dans le respect de l’autre restait la priorité. Et chacun était confronté à cet effort à consentir (physique, intellectuel) au profit du collectif.

Conclusion partielle : des limites oui mais une plus-value inouïe.

Aujourd’hui beaucoup s’interrogent et pensent qu’il est nécessaire de réintroduire le service militaire. Mais pour quoi faire ?

Si la finalité devait être la réponse à un besoin accru de sécurité ressenti par nos concitoyens dans un contexte de terrorisme ou de tensions internationales, je pense sincèrement que la constitution d’une réserve opérationnelle basée sur le volontariat serait largement suffisante car capable de répondre aux exigences et aux contraintes opérationnelles  y compris dans certaines opérations extérieures sous conditions.

Si la finalité était de permettre à une société de mieux se comprendre, de se rassembler autour d’un acte citoyen, exigeant, contraignant mais fédérateur, ferment d’intégration, de compréhension, d’échanges et d’acceptation, alors il conviendrait d’envisager un projet ambitieux dont la mise en œuvre dépendrait de la réalisation de certaines conditions :

  1. Ce temps passé au service la nation devrait être obligatoire. Il appartiendrait alors au politique de créer les conditions, financières notamment, pour que l’ensemble des acteurs soit mobilisé (Etat, collectivités territoriales, entreprises, associations…) et au législateur de définir les règles et les procédures pour faire respecter cette obligation, dans un souci d’égalité et d’équité.
  2. Sa pleine réussite dépendrait ensuite de la mission qui sera confiée aux jeunes concernés, filles et garçons :  donner du sens et ne pas tomber dans le piège conduisant à un sentiment d’inutilité, de perte de temps donc de gâchis. Ce qui serait alors contre-productif.
  3. Mais le critère le plus important à mes yeux relève de la qualité de l’encadrement chargé de mettre en œuvre ce processus exigeant. Ne nous fermons pas les yeux. La crédibilité du projet reposera essentiellement sur l’aptitude de celles et ceux qui, en tant que cadres, auront la responsabilité de faire adhérer ces jeunes Français à une aventure de quelques mois au service de la Nation.

La solution ne passe donc pas par un volet exclusivement militaire. C’est un projet collectif qui doit rassembler l’ensemble des acteurs de la société qui devraient, il ne faut pas se le cacher, trouver les ressources pour dépasser les clivages et assumer un rôle que parfois ni les parents ni l’éducation nationale n’ont été en mesure d’assumer.

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